J’aime les nouvelles rencontres.
Un mâle qui me regarde de cette façon, c’est évident qu’il désire attirer mon attention. Ce n’est pas le premier, ce ne sera pas le dernier. Mon charme, une fois de plus, agit malgré moi.
Je consens à miauler dans sa direction, mais à ma grande surprise l’impudent ne miaule pas en retour. J’affectionne les siamois, bien qu’il faille reconnaître qu’ils sont quand même très prétentieux.
Je prends ma posture amicale : oreilles légèrement pointées en avant, moustaches largement déployées sur les côtés, queue verticale.
Il ne change rien à la sienne.
Normalement, quand on me manque de respect à ce point je déguerpis. Cependant, je n’ai rien à faire d’autre de la nuit et je suis d’un naturel curieux, alors je ravale ma fierté et prépare mes appuis pour sauter jusqu’au balcon d’à côté.
Je me tasse, je vise, propulsion, extension, je me déploie au-dessus du vide entre nos deux maisons, j’écarte les doigts et mes griffes. Je vole une demi-seconde. La distance est importante et j’ai mal calculé ma détente. Je rate de quelques centimètres à peine la rambarde où je comptais atterrir. Je brasse l’air.
Mes griffes frôlent le métal mais ne trouvent pas de prise.
Le siamois m’observe toujours sans bouger.
L’humiliation est totale.
Je me rattrape heureusement au lierre et, à coups de griffes ravageurs, je remonte jusqu’au balcon.
Le siamois ne bronche toujours pas.
Enfin j’atteins mon objectif, me hisse et marche sur la rambarde, m’avance vers lui en miaulant.
Il reste parfaitement stoïque.
De près, je le vois mieux. C’est un siamois qui, au vu de son allure générale, doit être âgé d’environ dix ans (pour moi qui n’en ai que trois, c’est un vieux). Détail étonnant : il a une plaque de plastique de couleur mauve fixée au sommet du crâne.
Surmontant ma susceptibilité, j’entame la conversation comme si de rien n’était.
— Vous êtes le nouveau voisin ?
Pas de réponse. Pourtant je perçois ses ondes très chaleureuses.
— Pouvons-nous discuter ensemble ? J’habite à côté et je suis contente qu’il y ait un chat dans la maison la plus proche.
Il se lèche la patte puis la passe sur son oreille droite, signe de réflexion légère. Je prends cela pour un oui. J’ai eu assez de difficultés à communiquer avec autrui aujourd’hui pour échouer avec un être qui parle le même langage que moi.
— C’est quoi cette plaque mauve au sommet de votre crâne ?
Il me fixe puis consent enfin à me répondre.
— C’est mon Troisième Œil.
— Et c’est quoi un « Troisième Œil » ?
— C’est une prise USB qui me permet de me connecter aux ordinateurs pour communiquer avec les humains.
Ai-je bien entendu ?
— Une… quoi ?
Je ne veux surtout pas avouer que je suis dépassée par ses références, mais il ne se donne même pas la peine de répéter.
De la patte, il arrache le capuchon de plastique mauve, baisse la tête et m’invite à venir me rendre compte par moi-même.
Je me penche et distingue un orifice parfaitement rectangulaire cerné d’un liseré de métal s’enfonçant directement à l’intérieur de son crâne.
— C’est une blessure suite à un accident ? Cela doit faire mal.
— Non. C’est volontaire et très pratique.
— Et vous leur dites quoi aux humains avec ce Troisième Œil ?
Il continue de se lécher et de passer sa patte derrière l’oreille.
— Rien.
— Alors quel avantage y a-t-il à posséder cela ?
— Je ne leur dis rien, mais eux m’apprennent beaucoup. Ainsi je peux comprendre comment fonctionne l’humanité et, à travers elle, tout l’Univers.
Il a prononcé cette phrase sur un ton si détaché que je suis estomaquée par son assurance et sa suffisance. Mais ce n’est pas tant ce qu’il raconte que la manière dont il s’exprime qui m’impose le respect. Est-il possible qu’il puisse vraiment comprendre les humains ?
— Moi, j’ai essayé de leur parler, aux humains, ils ne comprennent que peu d’éléments. Ce soir, ma servante a oublié de me nourrir à l’heure et elle m’a enfermée dans une pièce dont je ne pouvais sortir seule. Tout ça pour observer une grande plaque noire fixée au mur, qui fait de la lumière et du bruit. J’ai bien regardé moi aussi, et j’ai fini par comprendre que, dans cette plaque noire, on voyait d’autres êtres humains… morts !
Le siamois inspire comme s’il cherchait l’intonation la plus adaptée pour s’adresser à moi. Il sort sa longue langue rose et l’étire pour s’humecter les babines.
— Votre plaque noire murale s’appelle, dans leur langage, une « télévision ».
— Admettons. Dans cette « télévision » il y avait des images d’événements qui se sont passés ici même, dans la rue. J’y ai assisté. Dans l’après-midi, un homme en tenue noire est venu et a utilisé un bâton pour faire du bruit.
— Cela se nomme « fusil », et si les détonations étaient saccadées, il s’agissait probablement d’un « fusil-mitrailleur ».
— De jeunes humains sortant de l’immeuble avec le drapeau sont tombés par terre.
— L’immeuble avec le drapeau est une « école maternelle » et les jeunes humains sont des enfants, élèves de cette école.
— Puis l’homme en noir a jeté l’objet et s’est enfui, et les jeunes humains qui sont tombés ne se sont pas relevés.
— Normal. Il les a blessés ou tués. Il est venu précisément pour cela.
4. Quand Bastet raconte son humiliation, quel mot exprime le mieux le contraste avec l’attitude du siamois ?
a) « Curieux »
b) « Stoïque »
c) « Méfiant »
d) « Bienveillant »
5. Que révèle la conversation sur le rapport entre les chats et les humains ?
a) Les chats cherchent toujours à être compris par les humains.
b) Les chats jugent les humains comme des maîtres supérieurs.
c) Les chats oscillent entre curiosité et incompréhension face aux humains.
d) Les chats et les humains partagent le même langage, mais différemment.
6. Dans la description de la scène violente vue à la télévision, quel effet produit l’emploi du mot « tombés » répété ?
a) Il accentue le tragique et l’irréversibilité.
b) Il donne une impression de lenteur poétique.
c) Il crée un effet comique involontaire.
d) Il atténue la gravité de la scène.
7. Le ton du siamois lorsqu’il parle de comprendre « l’humanité et, à travers elle, tout l’Univers » est surtout :
a) Mystique.
b) Ironique.
c) Détaché et assuré.
d) Comique et léger.
https://www.youtube.com/watch?v=P-ChHdGOcNc
J’aime les nouvelles rencontres.
Un mâle qui me regarde de cette façon, c’est évident qu’il désire attirer mon attention. Ce n’est pas le premier, ce ne sera pas le dernier. Mon charme, une fois de plus, agit malgré moi.
Je consens à miauler dans sa direction, mais à ma grande surprise l’impudent ne miaule pas en retour. J’affectionne les siamois, bien qu’il faille reconnaître qu’ils sont quand même très prétentieux.
Je prends ma posture amicale : oreilles légèrement pointées en avant, moustaches largement déployées sur les côtés, queue verticale.
Il ne change rien à la sienne.
Normalement, quand on me manque de respect à ce point je déguerpis. Cependant, je n’ai rien à faire d’autre de la nuit et je suis d’un naturel curieux, alors je ravale ma fierté et prépare mes appuis pour sauter jusqu’au balcon d’à côté.
Je me tasse, je vise, propulsion, extension, je me déploie au-dessus du vide entre nos deux maisons, j’écarte les doigts et mes griffes. Je vole une demi-seconde. La distance est importante et j’ai mal calculé ma détente. Je rate de quelques centimètres à peine la rambarde où je comptais atterrir. Je brasse l’air.
Mes griffes frôlent le métal mais ne trouvent pas de prise.
Le siamois m’observe toujours sans bouger.
L’humiliation est totale.
Je me rattrape heureusement au lierre et, à coups de griffes ravageurs, je remonte jusqu’au balcon.
Le siamois ne bronche toujours pas.
Enfin j’atteins mon objectif, me hisse et marche sur la rambarde, m’avance vers lui en miaulant.
Il reste parfaitement stoïque.
De près, je le vois mieux. C’est un siamois qui, au vu de son allure générale, doit être âgé d’environ dix ans (pour moi qui n’en ai que trois, c’est un vieux). Détail étonnant : il a une plaque de plastique de couleur mauve fixée au sommet du crâne.
Surmontant ma susceptibilité, j’entame la conversation comme si de rien n’était.
— Vous êtes le nouveau voisin ?
Pas de réponse. Pourtant je perçois ses ondes très chaleureuses.
— Pouvons-nous discuter ensemble ? J’habite à côté et je suis contente qu’il y ait un chat dans la maison la plus proche.
Il se lèche la patte puis la passe sur son oreille droite, signe de réflexion légère. Je prends cela pour un oui. J’ai eu assez de difficultés à communiquer avec autrui aujourd’hui pour échouer avec un être qui parle le même langage que moi.
— C’est quoi cette plaque mauve au sommet de votre crâne ?
Il me fixe puis consent enfin à me répondre.
— C’est mon Troisième Œil.
— Et c’est quoi un « Troisième Œil » ?
— C’est une prise USB qui me permet de me connecter aux ordinateurs pour communiquer avec les humains.
Ai-je bien entendu ?
— Une… quoi ?
Je ne veux surtout pas avouer que je suis dépassée par ses références, mais il ne se donne même pas la peine de répéter.
De la patte, il arrache le capuchon de plastique mauve, baisse la tête et m’invite à venir me rendre compte par moi-même.
Je me penche et distingue un orifice parfaitement rectangulaire cerné d’un liseré de métal s’enfonçant directement à l’intérieur de son crâne.
— C’est une blessure suite à un accident ? Cela doit faire mal.
— Non. C’est volontaire et très pratique.
— Et vous leur dites quoi aux humains avec ce Troisième Œil ?
Il continue de se lécher et de passer sa patte derrière l’oreille.
— Rien.
— Alors quel avantage y a-t-il à posséder cela ?
— Je ne leur dis rien, mais eux m’apprennent beaucoup. Ainsi je peux comprendre comment fonctionne l’humanité et, à travers elle, tout l’Univers.
Il a prononcé cette phrase sur un ton si détaché que je suis estomaquée par son assurance et sa suffisance. Mais ce n’est pas tant ce qu’il raconte que la manière dont il s’exprime qui m’impose le respect. Est-il possible qu’il puisse vraiment comprendre les humains ?
— Moi, j’ai essayé de leur parler, aux humains, ils ne comprennent que peu d’éléments. Ce soir, ma servante a oublié de me nourrir à l’heure et elle m’a enfermée dans une pièce dont je ne pouvais sortir seule. Tout ça pour observer une grande plaque noire fixée au mur, qui fait de la lumière et du bruit. J’ai bien regardé moi aussi, et j’ai fini par comprendre que, dans cette plaque noire, on voyait d’autres êtres humains… morts !
Le siamois inspire comme s’il cherchait l’intonation la plus adaptée pour s’adresser à moi. Il sort sa longue langue rose et l’étire pour s’humecter les babines.
— Votre plaque noire murale s’appelle, dans leur langage, une « télévision ».
— Admettons. Dans cette « télévision » il y avait des images d’événements qui se sont passés ici même, dans la rue. J’y ai assisté. Dans l’après-midi, un homme en tenue noire est venu et a utilisé un bâton pour faire du bruit.
— Cela se nomme « fusil », et si les détonations étaient saccadées, il s’agissait probablement d’un « fusil-mitrailleur ».
— De jeunes humains sortant de l’immeuble avec le drapeau sont tombés par terre.
— L’immeuble avec le drapeau est une « école maternelle » et les jeunes humains sont des enfants, élèves de cette école.
— Puis l’homme en noir a jeté l’objet et s’est enfui, et les jeunes humains qui sont tombés ne se sont pas relevés.
— Normal. Il les a blessés ou tués. Il est venu précisément pour cela.