среда, 12 ноября 2025 г.

12.11.2025

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 Il m’accueille sur le seuil et, comme sa servante dort, me propose de m’installer face au feu de cheminée dont les braises sont encore rougeoyantes. Les lueurs orange se reflètent dans ses yeux.

— Merci de m’avoir secouru. Je regrette de t’avoir mal accueillie la dernière fois, mais je m’en voulais de t’avoir donné trop d’informations d’un coup. C’est mon défaut, j’ai tendance parfois à étaler mes découvertes pour impressionner mon interlocuteur, a fortiori si c’est une femelle, même si je ne le connais pas bien. Ensuite je m’en veux de ne pas avoir su être plus circonspect.

— Tu m’as appris beaucoup de choses et je t’en remercie.

— J’aurais dû avoir plus d’égards envers toi.

— Tu es en couple. Je comprends que tu te méfies d’une femelle étrangère, fût-elle ta voisine.

— Non, je n’ai pas de femelle.

— J’ai vu celle qui vit dans ta chambre.

— Mais il n’y a pas d’autre chat que moi dans cette maison !

— Et elle, là-haut, c’est qui ?

Pour en avoir le cœur net, je file à l’étage. Il me suit. La chatte noir et blanc est toujours là. Elle est même accompagnée d’un autre chat, un siamois assez semblable à Pythagore.

— Ceci est un « miroir », m’explique-t-il. C’est un objet humain qui permet de refléter ce qu’il y a en face. Cette chatte que tu vois, c’est toi, et le chat à côté, c’est moi.

Je m’approche. C’est la première fois que je me vois car chez moi il n’y a pas de « miroir ».

Je m’examine dans les moindres détails. L’autre moi, en face, reproduit exactement les mêmes gestes que les miens.

— Alors ce serait cela… « moi » ?

Je trouve cette chatte soudain moins vulgaire. Je l’avais peut-être jugée un peu vite. Elle a beaucoup de distinction. Elle est même charmante. Je la scrute en détail.

Je suis encore plus ravissante que je ne le pensais.

Je suis fascinée par ma propre image. Dire que si je n’étais pas venue ici j’aurais pu vivre une existence entière sans savoir à quoi je ressemble, ni comment les autres me voient vraiment.

Quelle révélation.

Pythagore, qui semble très à l’aise avec son reflet, pose une patte sur le miroir. Je l’imite.

— Pour quelqu’un qui a l’ambition de communiquer avec tous les êtres qui l’entourent, tu devrais commencer par te connaître toi-même.

— Comment sais-tu ce qu’est un miroir ?

— Mon Troisième Œil me l’a dit.

— Et comment se fait-il que tu sois doté de ce Troisième Œil ? Pourquoi moi je n’en ai pas ?

— J’ai un secret. Viens, sortons !

Nous trottons côte à côte dans les rues avoisinantes. Elles sont encore un peu fréquentées à cette heure de la nuit. Bien qu’il ait emménagé récemment, Pythagore semble parfaitement connaître le quartier et il me guide dans plusieurs ruelles éclairées par des réverbères jusqu’à une place où beaucoup d’humains sont assis. Au centre, une immense bâtisse blanche dont les murs sont plus hauts que les arbres, surmontée par ce qui ressemble à des poires. Pythagore me désigne un passage sous une grille qui permet d’accéder à un soupirail. Nous rejoignons ainsi une salle haute et large avec de magnifiques vitraux, des peintures et des sculptures.

— Es-tu déjà venue ici ? questionne-t-il.

— Non, dis-je, impressionnée.

Il me guide vers un escalier en colimaçon dans lequel nous nous engageons. C’est long et fatigant, mais nous finissons par aboutir à un point très élevé d’où l’on bénéficie d’un panorama extraordinaire sur la ville.

J’ose un regard vers le bas et constate qu’une chute me serait fatale. Cette tour est plus haute que plusieurs arbres mis les uns sur les autres.

Le vent, à cette hauteur, ébouriffe ma fourrure et fait des vagues dans le poil gris de mon congénère. Même mes moustaches ploient sous les bourrasques, ce qui est une sensation très désagréable.

— J’aime les points de vue élevés.

— C’est pour cela que tu étais en haut de l’arbre quand le chien t’a menacé ?

— Je me place toujours en hauteur. Or nous avons les griffes faites pour monter et non pour descendre, ce qui nous oblige à sauter… Mais comment le faire quand un berger allemand vous attend, grognant, en bas ?

J’observe le paysage autour de nous. Partout ça scintille de petites lumières jaunes immobiles, et d’autres blanches ou rouges, qui bougent, celles-là.

– Ça, c’est « leur » ville, dit-il. La ville des humains.

— Je me suis rarement éloignée de ma maison. Je ne connais que ma cour, la rue en face et quelques toits avoisinants.

— Les humains construisent ces maisons par milliers. Les unes près des autres. À perte de vue. Cette ville-ci se nomme « Paris ».

— Paris, je répète.

— Cette colline, c’est le quartier Montmartre, et là où nous sommes maintenant c’est un de leurs monuments religieux : la basilique du Sacré-Cœur.

— Tu sais tout cela grâce à ton Troisième Œil ?

Il ne répond pas à ma question. Je regarde l’immense panorama qui s’offre à nous. Je ne comprends pas tout ce que me dit Pythagore mais peut-être qu’à force de l’écouter, je vais naturellement finir par faire des recoupements qui me permettront de mieux saisir le sens de ses phrases.

Le vent redouble et nous déstabilise, je change d’appui.

— Je veux apprendre tout ce que tu sais.

— Les humains ont d’autres villes comme celle-ci, dispersées sur un grand territoire de plaines, de champs et de forêts qui forment un pays qu’ils appellent la France, lui-même situé sur une sorte d’énorme ballon, une planète, qui se nomme la Terre.

— Ce que je veux savoir c’est pourquoi j’existe, pourquoi je suis comme ça, et ce que je dois faire sur la Terre.

— Je viens de te parler de géographie, mais peut-être t’intéresses-tu davantage à l’histoire.

Il inspire profondément, se lèche la patte droite, la passe derrière son oreille, puis relève la tête.

— Eh bien cela sera ma leçon d’histoire numéro 1. Tout a commencé il y a 4,5 milliards d’années, lorsque la Terre est née.

Je n’ose demander ce qu’est un milliard, mais je pense que cela doit être un nombre plus grand que tout ce que je connais. Alors que nous regardons le ciel parsemé de lueurs, une étoile filante passe, fendant le ciel de gauche à droite.

— Au début il n’y avait que de l’eau.

— Je n’aurais pas aimé vivre à cette époque. Je déteste l’eau.

— Pourtant c’est de l’eau que tout est venu. La vie est apparue sous forme de petites algues qui se sont transformées en poissons. Un jour, l’un d’entre eux en est sorti pour ramper sur le sol ferme.

Je ne pose pas de questions pour ne pas le couper dans le fil de son récit. Mais quand il parle de poisson, est-ce qu’il veut dire un animal comme… Poséidon ?

— Ce premier poisson est parvenu à survivre et à se reproduire. Ses descendants se sont transformés en lézards, qui se sont mis à grossir et à devenir de plus en plus grands. On les a appelés « dinosaures ».

— Les dinosaures étaient grands comment ?

— Certains étaient aussi hauts que cette tour où nous nous trouvons actuellement. Et ils étaient féroces. Leurs dents et leurs griffes étaient énormes. Tous les autres animaux avaient peur d’eux. Ils sont devenus de plus en plus intelligents et sociaux.

Pythagore fait une pause, inspire, se lèche les babines.

— Et puis il y a eu ce rocher venu du ciel qui a changé l’atmosphère et la température. Les dinosaures sont tous morts. N’ont survécu que les petits lézards et les mammifères.

— C’est quoi, des mammifères ?

— Ce sont les premiers animaux avec du sang chaud, des poils, et des pis capables de fournir du lait. Nous, en somme. Il y a 7 millions d’années sont apparus les premiers ancêtres des hommes et les premiers ancêtres des chats. Il y a 3 millions d’années, les ancêtres des hommes se sont divisés en petits et grands. Et les ancêtres des chats se sont eux aussi divisés en petits et grands.

— Tu veux dire qu’avant il y avait des grands chats ?

— Oui, ils existent toujours d’ailleurs. Les humains les nomment des lions. Mais ils ne sont plus très nombreux.

— Ils sont grands comment ?

— Au moins dix fois plus grands que toi, Bastet.

J’essaye d’imaginer un chat d’une taille aussi phénoménale.

— Mais l’évolution a avantagé les plus petits, plus intelligents. La branche des petits hommes et celle des petits chats ont ensuite évolué en parallèle jusqu’à il y a dix mille ans. À cette époque, les humains découvrent l’agriculture : l’art de réunir des plantes pour les récolter. Ils se mettent à stocker des réserves de céréales mais cela attire les souris qui à leur tour font venir…

— Nos ancêtres ?

— Quand les humains se sont aperçus que les chats leur permettaient de garder la nourriture intacte, ils les ont considérés avec plus d’égard.

— Nous leur sommes donc devenus indispensables… Et ils ont alors accepté de nous obéir, n’est-ce pas ?

— Par la force des choses, humains et chats, à cette époque, s’entendaient bien.

— Donc les chats se sont volontairement rapprochés des hommes, si je comprends bien ?

— Nous les avons choisis, nous les avons aidés à mieux vivre, et ensuite ce sont eux qui ont décidé de nous loger et de nous nourrir. On a retrouvé sur l’île de Chypre une tombe vieille de sept mille cinq cents ans, dans laquelle un squelette d’homme reposait à côté de celui d’un chat.

— C’est quoi une tombe ?

— Une fois qu’ils sont morts, au lieu de laisser les autres animaux les manger, voire de les manger eux-mêmes, les humains mettent les cadavres de leurs congénères sous terre.

— Et ce sont les vers qui les mangent ?

— C’est ainsi qu’ils se traitent entre eux. Et la présence de ce chat dans cette tombe signifie…

— … qu’ils nous considéraient comme importants.

— Tu en sais assez pour aujourd’hui, Bastet. La prochaine fois je te raconterai la suite de l’histoire commune des chats et des humains.

— Quand ?

— Si tu veux, Bastet, nous pourrons nous retrouver de temps en temps et je t’apprendrai ce que je sais du monde des humains. Tu comprendras peut-être qu’avant d’essayer de dialoguer avec eux en mode réception/émission, nous pouvons commencer par assimiler leurs connaissances en simple mode réception. Car celles-ci sont vraiment très surprenantes pour une chatte (il a pensé « ignorante »)… qui n’a pas de Troisième Œil.

Et, alors que la lune commence à se dévoiler lentement derrière les nuages, il propose que nous miaulions ensemble à gorge déployée. Cela me plaît. Dans cette vibration sonore qui sort de ma bouche et résonne dans tous mes os, je sens une émotion intense et inconnue, comme si l’union de nos deux voix m’apportait la plénitude.

Le vent souffle dans ma fourrure et dans mes moustaches. Mon poil ondule par vagues.

Je me sens bien et nous restons longtemps à miauler jusqu’à ce que, épuisée, je me contente de ronronner de plaisir en observant Paris dont, doucement, s’éteignent les petites lueurs.

Évidemment, j’aimerais que Pythagore m’explique quel est le secret de ce Troisième Œil qui lui permet d’avoir autant d’informations précises, mais je sais qu’il ne sert à rien d’insister. Je me remémore tout ce qu’il m’a enseigné aujourd’hui. Grâce à lui, je suis une chatte qui comprend mieux ce qui se passe autour d’elle, une chatte qui connaît l’histoire de ses ancêtres. Je m’aperçois que plus j’apprends, plus je peux intégrer facilement des informations nouvelles. Et j’aime ça.

Nous redescendons la tour de la basilique et avançons dans les rues de la colline de Montmartre.

Je trouve mon compagnon gracieux.

— Et la guerre que se font les hommes, où en est-elle selon tes sources ? je demande, pour rompre le silence qui s’est installé.

— C’est de pire en pire. Ce qui est arrivé à l’école maternelle n’est pas un phénomène isolé. Loin de là. Chaque jour, le terrorisme se manifeste sous d’autres formes. Il est important pour toi et moi de nous tenir tout le temps au courant de l’évolution de cette fièvre d’autodestruction de nos voisins humains.

Je me lèche distraitement une épaule.

— Ce ne sont que des hommes qui se tuent entre eux, cela ne nous concerne pas.

Il secoue la tête :

— Détrompe-toi. Nos destins sont toujours liés. Nous dépendons d’eux et il y a réellement un risque que les humains disparaissent, comme jadis les dinosaures.

— Je me sens parfaitement prête à vivre sans eux.

— Cela va nous obliger à accomplir des actes que nous n’avons jamais accomplis jusque-là.

— Eh bien, nous évoluerons.

Il me touche avec sa patte pour me forcer à m’arrêter et me fixe.

— Ce n’est pas si simple, Bastet. La guerre qui se répand progressivement est préoccupante même pour les chats.

Je remarque que Pythagore a prononcé plusieurs fois mon nom. Peut-être que, désormais, je suis importante pour lui. Je suis persuadée qu’il commence à comprendre que moi aussi je suis spéciale.

Je marche fièrement à côté de lui, la queue dressée. Loin de m’inquiéter, toute cette connaissance nouvelle, d’une certaine manière, me rassure. Maintenant je sais beaucoup mieux qui je suis, de quoi j’ai l’air, où je vis, et ce qui se passe autour de nous.

Être inA

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